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Ferris Bueller, Indiana Jones et Jankélévitch

DE L'ART DE SAVOIR PRENDRE UNE PAUSE


Joyeux Noël! Les fêtes de fin d'année sont souvent l'occasion de prendre trois kilos en vous empiffrant du fois gras de Tonton Jean-Maurice -évidemment- mais aussi de prendre une pause, un peu de recul ne faisant jamais de mal avant de commencer une nouvelle année. C'est pour ça qu'aujourd'hui, on parle du meilleur film pour apprendre... à prendre une pause:

Ferris Bueller's Day Off (en VF: La Folle Journée de Ferris Bueller), le teen-movie culte de toute une génération d'américains. Sorti en 1986 et réalisé par John Hugues, il raconte les aventures d'un lycéen populaire de la banlieue de Chicago, cancre invétéré, qui décide un matin de s'accorder une journée de repos. De la comédie, des courses poursuites, de la romance...le scénario classique d'une comédie américaine. 

Encore un film pour ados?

Pourtant le film est, encore aujourd'hui, pris comme référence dans les études de divers universitaires. Vingt-huit ans après sa sortie, la Bibliothèque du Congrès l'ajoute à son catalogue, en raison de son "intérêt académique, historique et esthétique".

Pourquoi?
Parce que, en plus d'être très divertissant, le film cache sous son vernis gentillet une foultitude de leçons de vie. La première, et c'est la plus importante, est le point de départ de toute l'aventure. C'est la raison pour laquelle Ferris, notre héros, décide de sécher les cours ce jour là.

La vie bouge très vite. Si tu t'arrêtes pas de temps en temps, elle pourrait te filer entre les doigts.

Joliment dit non? 
Même si cela sonne plus comme un appel à la fainéantise qu'à autre chose...en réalité c'est un appel à une vie plus folle, plus exaltée. Prendre une journée de congé inattendue, c'est se donner, l'espace de 24 heures, un nouvel avenir, plus attrayant.

C'est s'extraire de l'ennui du présent: pour Ferris, la salle de classe assommante

Le sujet est abordé dans les années 60 par le philosophe russe Vladimir Jankélévitch, qui décrit trois façons différentes de considérer le temps : L'Aventure, L'Ennui et le Sérieux.

L'aventure n'est jamais "sérieuse" [...] elle est à fortiori recherchée comme un antidote à l'ennui. Dans le désert informe, dans l'éternité boursouflée de l'ennui, l'aventure circonscrit ses oasis enchantées et ses jardins clos ; mais elle oppose aussi à la durée totale du sérieux le principe de l'instant.

Ah! Nous voilà bien avancés! 

Ne dormez pas tout de suite: 
Sous le style pompeux de Jankélévitch, il y a (parfois) un propos intéressant.

Si l'on résume -grossièrement mais efficacement- ;

-L'Ennui, c'est le temps de l'attente; où l'on est coincé dans un présent qui s'étire tellement qu'il en devient presque insupportable.

-Le Sérieux, c'est le temps de la raison; une façon raisonnable non pas de vivre le temps, mais de l'envisager dans son ensemble, en prenant en considération de très longues durées.

-L'Aventure, c'est le temps de l'instant fugace; une l'irruption de l'avenir, avec toutes ses excitations et ses attentes, dans votre présent bien connu.

Et comme dans à peu près toutes les productions hollywoodiennes de l'histoire, le temps qui nous fascine, c'est celui de l'aventure.

Quelqu'un a dit aventure?

Rangez votre machette et votre sacoche!
La notion d'aventure décrite par Jankélévitch n'est pas forcément celle des films d'aventure: à moins que vous soyez Harrison Ford, vous n'avez pas certainement pas besoin de combattre des nazis dans des pays exotiques pour vous sentir exister.

Quelqu'un a dit Nazi?

En réalité, le philosophe russe distingue trois grands types d'aventure; chacune pouvant intervenir -ou non- dans l'Aventure avec un grand A, celle qui nous vient à l'esprit quand on pense aux films d'action américains..

Aventure mortelle...

Aventure amoureuse...

Aventure esthétique. 
Celle que l'on vit dans le but de la partager. 
Dans un musée, dans un livre, sur Instagram...

Tout ça pour quoi?
Toutes ces agitations semblent bien vaines, surtout si l'on revient à Ferris qui, à la fin du film, retrouve sa vie quotidienne et rentre chez lui, pour éviter de se faire enguirlander par ses parents.

Il redevient sérieux.

Redevenir sérieux, n'est-ce pas quitter pour la prose amorphe de la vie quotidienne ces épisodes intenses, ces condensations de durée qui forment le laps de temps aventureux?

Oui! Mais ces épisodes sont intenses parce qu'ils sont temporaires. 

Souvenez-vous d'un imprévu qui vous est arrivé, ou d'une décision que vous avez prise au dernier moment. Sur l'instant c'était probablement le stress, le vertige devant l'inconnu, la peur de "l'après" qui vous tenaillait.

Mais l'aventure terminée, la parenthèse refermée, on en rit le plus souvent. On est un peu nostalgique, si l'on réalise que c'était un bon moment. On regrette peut-être aussi, si l'aventure a tournée au vinaigre. On a vécu!

Car quoi qu'il en soit, la beauté d'une aventure est toujours sublimée par ses limitations temporelles.

Comme lorsque, après avoir vu un film dans lequel on s'était laissé absorbé, l'on sort du cinéma, l'esprit encore plongé dans l'univers fictif de la salle obscure. Peu à peu, on revient dans le monde réel, dans notre présent à nous, bien réel, et l'on ressort grandi de ces instants suspendus.

Faire une pause. Aller au cinéma. Lire un livre. Rire. Faire la fête.
Pour savourer son quotidien, il faut savoir en sortir de temps à autre. 

Et ça, Ferris l'a bien compris.



Des trucs en plus, si, comme Ferris Bueller, vous prenez une journée de congé:

Regarder les films de John Hugues
Ne pas lire L'Aventure, L'Ennui, le Sérieux de Jankélévitch (sauf si vous voulez mourir d'ennui).
Regarder Thelma et Louise, le road-movie de Ridley Scott sur une aventure qui finit mal.



Toujours là?
Le post est fini!

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